Aujourd'hui, Maurice Tillieux est à juste titre considéré comme l'un des grands classiques de la Bande Dessinée franco-belge d'après-guerre.
Né en 1921 à Huy, sur les bords de la Meuse, Maurice Tillieux, outre un attrait particulier pour tout ce qui touche de près ou de loin à l'univers maritime, développe très tôt une attirance pour l'écriture mais également pour le dessin. Ainsi, dès 1938, il réussit à faire insérer quelques dessins dans le tout nouveau Magazine Spirou.
La guerre éclate et vient mettre un frein à sa lancée. Durant cette période trouble, il écrit et exerce divers métiers pour survivre, cela jusqu'en 1944, année durant laquelle il parvient à s'infiltrer dans l'équipe du Studio Guy, du nom de son créateur Guy Depière, et à travailler pour les magazines Bimbo et Jeep. Il renoue également contact avec l'équipe du magazine Spirou à qui il fournit quelques dessins par semaine.
Après avoir travaillé sur diverses séries, toutes aussi impersonnelles les unes que les autres, il quitte le Studio Guy où il se sentait un peu à l'étroit et rejoint la toute nouvelle rédaction d'Héroic-Albums. Il y dessine plusieurs récits avant de donner naissance à Félix, l'un de ses personnages les plus connus. Durant les sept années que durera la série, il va laisser vagabonder son imagination fertile et parcourir la plupart des possibilités qui lui étaient offertes au travers de l'aventure et du suspense policier.
En 1956, sentant venir la fin toute proche d'Héroic-Albums, Maurice Tillieux propose à l'Editeur Dupuis le personnage de Marc Jaguar, personnage éphémère, mais surtout celui du détective Gil Jourdan, cousin germain de Félix. Les plus belles planches de sa carrière datent de cette époque.
Le succès arrivant, parallèlement à sa série fétiche , il multiplie ses interventions et collabore notamment au Moustique, magazine belge, et à Pilote.
Au milieu des années soixante, la pénurie de bons scénaristes se faisant sentir, Maurice Tillieux est pressenti par l'éditeur Dupuis pour écrire de nouvelles séries ou reprendre des scénarii qui ne sont pas de lui. Il travaille ainsi tour à tour avec Follet, Will, Francis, Piroton, Walthéry,...
En 1970, accaparé par ses textes, il abandonne le dessin et confie même la réalisation graphique de Gil Jourdan au dessinateur Gos. Un accident de la route vient mettre un terme à une carrière brillante en 1978, alors qu'il revenait du Festival d'Angoûlème en France.
Maurice Tillieux se définissait avant tout comme une personne qui aime raconter des histoires, comme un "raconteur d'histoires". Ce terme lui est on ne peut plus fidèle, car mieux que celui de "conteur", il sous-entend une prédispostion naturelle, enracinée, et un attachement profond pour cette faculté. Maurice Tillieux aimait raconter des histoires et, qui plus est, il savait les raconter.
Le suspense est le domaine dans lequel il excellait le plus et il connaissait bien la manière de le rendre attrayant. Ses récits sont dotés de découpages et de dialogues percutants qui font aujourd'hui rêver tant ils sont soignés et efficaces. Par ailleurs, pour donner plus de poids encore à ses propos, Maurice Tillieux avait le don de placer ses personnages dans un décor hors du commun et de créer autour d'eux une atmosphère qui ne peut laisser personne indifférent. Je pense notamment au chantier de démolition naval "Les Cargos du Crépuscule" dans l'album du même nom ou à la "Tour du Joyeux Chevalier" dans l'album "La Voiture Immergée".
En marge du suspense, il maniait également l'humour avec un bonheur sans pareil. Certains échanges verbaux ainsi que certaines séquences de la série Gil Jourdan, par exemple, sont des petits morceaux d'anthologie et font appel à notre mémoire collective tant elles ont frappé les lecteurs.
Maurice Tillieux a toujours eu le souci de rendre ses histoires sinon vrais du moins le plus vraisemblables possible. Il avait très bien compris que l'imagination d'un auteur ne doit pas avoir de borne et que ce qui compte en fait c'est le degré de crédibilité donné au récit. Il suffit pour s'en convaincre de lire ou de relire les albums fantastiques de Tif et Tondu "L'Ombre sans Corps" ou "Sorti des Abî:mes". Raconter une sombre histoire de gorille invisible ou de gastéropode géant, évoluant tous deux en plein coeur de Londres, relève à priori de la fantaisie la plus débridée. Et pourtant, Maurice Tillieux arrive à un résultat on ne peut plus étonnant.
Il ne faudrait pas pour autant oublier le dessinateur qui se cache derrrière le "raconteur". Durant les années cinquante principalement, le style graphique de Maurice Tillieux évoluera de façon spectaculaire pour atteindre son apogé à la fin de cette décennie. Il a subi les influences des grands de son époque, tels Hergé et Franquin, et a su en extraire ce qu'il y avait de meilleur pour forger son propre style. Ses meilleurs travaux ont eu une retombée sur nombre de jeunes dessinateurs et ont depuis lors fait école.